Les textes
L’hommage de ses fils, rendu lors de ses funérailles
Pierre-Jean
Si…
Quand nous étions enfants, tu avais accroché le poème de Kipling au mur de notre chambre. Celui qui se termine en disant : « Tu seras un homme, mon fils »
Chaque vers parle de comment on devient un Homme, un vrai, un bon, un droit. Il parle des actes à conduire pour s’accomplir, et des valeurs qu’il faut suivre.
Une vie, ta vie, pour nous montrer comment les porter.
Alors je retiens « l’exemple », au-delà des mots, et des vers d’un poème.
Il commençait ainsi…
Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir…
Combien de départs, combien de recommencements dans ta vie, dans tes vies ? Accepter de repartir à zéro, même si c’est dur, même si ça fait mal.
J’étais habitué à ne jamais te voir renoncer. Alors j’ai espéré comme tant d’autres que tu te relèverais à Nouveau, une dernière fois, une fois encore, pour revoir tous ceux qui t’étaient chers.
J’avais confiance en ta force, ton audace.
Et comme il est dit …
Tu savais être fort sans cesser d’être tendre,
Pourtant lutter et te défendre…
Bien sûr, un vers nous dit :
Sans mentir toi-même d’un seul mot
Tous ceux qui te connaissent pourront dire que tu n’auras pas illustré, parfaitement, ce passage.
Mais est ce mentir que de jouer avec la vérité comme tu le faisais toi ?
Ce n’étais pas un défaut, mais une forme d’art.
Pour amuser, faire rire, séduire ou convaincre. Combien d’histoires racontées, amplifiée, embellies ? Parfois, tu finissais par mieux connaitre ton histoire inventée que la vraie.
Et même ! L’inventé devenait Vérité. Ta vérité.
Dans ce cas, ce n’est plus un mensonge. Le menteur devient un artiste.
Au cœur du poeme comme au cœur de ta vie : l’amitié.
tu as aimé tous tes amis en frère.
Des amis qui remplissaient ton cœur autant que ta maison
Des amis à aider, sans contrepartie, sans discuter parce que ton cœur n’avait plus de raison
quand on avait besoin de toi.
Parce que l’amitié, le plaisir d’être ensemble, donner du temps, des conseils, un service,
de la joie et des rires étaient ce qui te rendait le plus heureux au quotidien.
Nous avons tous en mémoire un regard espiègle, ému souvent, qui nous disais : « tu sais
ici, maintenant, nous vivons un moment important. » Un moment qu’on emporte et qu’on
garde avec soi. Autant de souvenirs qui nous relient à toi même quand tu n’es plus là.
Comme dans le poème, il faut savoir méditer, observer et connaitre,
Mais aussi, rêver, et penser.
Le monde s’est trouvé souvent trop petit pour tes folies. Ici, tu étais à l’étroit, empêché par tous ceux qui ne rêvaient pas aussi grand que toi.
Alors Va !
Enfin dans un monde sans limite, Va vivre tes rêves de géant !
Tu avais raison. Il faut voir grand… immense, pour ne pas vivre « à l’étroit ».
Tout au long de ta vie, tu auras as rencontré Triomphe et Défaite,
Comme il est dit, tu auras reçu ces deux menteurs d’un même front,
Aujourd’hui tu nous quittes ici. Le texte des hommes se termine, quand s’ouvre le Grand Livre…
Les Dieux seront à tout jamais tes esclaves soumis,
Et, ce qui vaut mieux que les Dieux et la Gloire
Tu as fait de moi un Homme, Papa.
Philippe
Dans l’ombre
Arrive le décompte des absences sans nombre.
Je devrais être triste, je pourrais être sombre
Parce que le fils pleure le père, dans l’ombre…
Mais, j’espère. Mais je crois…En vérité, je sais
Que tu es là, encore présent, juste caché,
Absent aux yeux, mais à notre amour, révélé.
Debout devant la porte de la Grande Maison,
Dans le secret gardé des blanches dimensions,
Tu retrouves l’ami, ton cousin, un tonton,
Enfin débarrassés des anciennes souffrances.
Ils t’embrassent, on t’étreint, comblant la longue absence
Par des rires et la joie d’une claire indulgence.
Tu revois les plus chers de tes frères de cœur,
Ceux que tu t’as choisis, à l’accent tapageur,
Et ceux aux pieds plus clairs qui faisaient ton bonheur.
Te voilà au banquet, celui-ci éternel
Des temps indéfinis sous le Grand Arc-en-Ciel.
Tous crient en ton honneur, « -Bienvenue! Jean Noël »
Tous tes amis sont là, et chacun pense à toi.
Dans leur chair ceux d’ici, et en songes, là-bas.
Tu manques à ceux d’ici, très durement, déjà.
Au début du décompte des absences sans nombre.
Et je suis triste, et je suis sombre
Comme le fils qui pleure le père, dans l’ombre…
Ici-bas, à la table, la chaise est vide, rangée,
L’écran est resté noir, sans bon coin, sans EBay,
Aucun outil ne traine d’un projet en chantier.
Rien de bon ne mijote d’un plat improvisé.
Je n’entends plus la blague mille fois répétée,
Ou l’histoire, en partie seulement, inventée.
La porte ouverte, toujours, à l’ami qui passe.
Un souvenir ému, d’Algérie, qu’on ressasse
« Dans la crique d’Oran, on pêchait la rascasse. »
Indompté, tel un Ogre aux dix milles excès,
Aux dix vies, aux limites maintes fois dépassées,
Nadine, par l’amour, l’aura apprivoisé.
Fusionnelles âmes sœur, fidèles en cet amour,
D’une fidélité rare pour celui qui un jour
M’avouait avoir trompé plus souvent qu’à son tour.
Il m’expliquait aussi, des mots d’un repenti,
Comment naissent les fautes, et comment on expie
Dans d’autres temps, d’autres maisons, une autre vie.
Poursuivant ce décompte des absences sans nombre.
Je deviens plus triste, je me sens plus sombre
Tel un fils pleurant son père, dans l’ombre…
Pour un fils, qu’aurais-tu arraché à ton corps,
Sans hésiter, sans peur, sans même un seul effort.
Pour le sauver d’un mal, d’un péril, de la mort ?
Tu étais la force, qui rassure l’enfant,
Que l’on respecte et que l’on craint en même temps.
Une puissance fragile, brisée par accident.
Je suis dans ton sillage sur l’esquif de la vie
Qui balance. On apprend, on pleure, on rit.
Etre à mon tour la force qui agit.
Et chaque mercredi, sur tes genoux assis,
Mes petits apprenaient une blague, un outil,
Comment on dresse un chien. A mentir, aussi.
Tes savoirs, tes talents, quelques défauts aussi,
Sont dans mon héritage, en moi tout te survit,
Comme la mutation d’un virus assagi.
J’éprouve le décompte des absences sans nombre.
Et dans la tristesse de ces jours sombres.
Je suis ton fils et je te pleure, dans l’ombre.